Rappel de l'épisode précédent : Bravant mille et un dangers, nous avons exploré une jungle atypique : la PME familiale à la sauce marocaine. Nous sommes ainsi allés à la rencontre des (trois) catégories d'individus peuplant cette contrée mirifique.
La première catégorie comprenait une seule et unique personne : le dénommé Monsieur Moulchi, fondateur-dirigeant de l'entreprise (ndlr : en dialecte marocain, « moulchi » signifie littéralement «propriétaire»).
La seconde englobait la Cour gravitant autour de M. Moulchi : neveux, cousins, gendres, ex, beaux-frères, odalisques, etc.
La troisième catégorie, elle, était formée par les M. et Mme Tout le monde, pauvres hères atterris par pur hasard sur les terres de M. Moulchi.
Faisons plus longuement halte, cette fois-ci, chez les M. et Mme tout le monde. Ici, pour éviter de se faire scalper, chacun a dû développer une « stratégie de survie ». Petit tour d'horizon de ces stratégies, des plus instinctives aux plus élaborées.
Commençons par les stratégies axées sur les compétences dites techniques. Autrement dit, sur le travail.
On pense d'emblée à l'Einstein de l'entreprise, créature géniale dotée d'un cerveau XXL tournant à la vitesse de la lumière. Sa boite crânienne renferme les données de la collection Automne-Hiver 2015 de l'Encyclopédie Universalis.
Dans de rares moments d'égarements (cela arrive aux « meilleurs d'entre nous »), M. Moulchi lui-même a du mal à cacher les quelques nano grammes d'admiration qu'Einstein lui inspire. Grâce à Einstein, pas besoin de moteur de recherche : contentez-vous d'ouvrir la bouche pour poser votre question. Sa réponse sera fiable.
S'il y en a un qui a compris ça, c'est bien le bourreau de travail. Toute honte bue, il interviewe Einstein plusieurs fois par jour. La vitesse à laquelle les neurones du bourreau de travail s'affolent est en effet moindre...
Pour y pallier, ce grand masochiste devant l'Éternel campe au bureau les week-ends et jours fériés. Il croit mordicus qu'«il faut vivre pour travailler, et non travailler pour vivre». Résultat, il fait partie des meubles (de bureau) et rêve (secrètement) de se réincarner en fichier Excel.
Dans un autre style, la cash machine de M. Moulchi ferme la marche de cette galerie studieuse.
En général, la cash machine est directeur commercial, directeur d'usine ou directeur d'exploitation (« direx » pour les branchés). Le niveau de chiffre d'affaires dépend des performances de la cash machine.
Or, s'il y a un indicateur avec lequel M. Moulchi ne plaisante pas, mais alors pas du tout /du tout /du tout, c'est bien le chiffre d'affaires ou « CA » pour les intimes (prononcez « céa »). Résultat, la cash machine est la prunelle des yeux de M. Moulchi.
Mais aussitôt que la poule aux œufs d'or fera signe de se gripper...sans crier gare... ABRACADABRA !... un beau matin...dès potron-minet... la poule pondeuse s'évanouira dans les champs... prenant ses pattes à son cou...à la vitesse du son....les coups de fusil répétés de M. Moulchi lui donnant des ailes...
Mais on ne mise pas uniquement sur le travail pour sauver sa peau. D'aucuns ont opté pour des stratégies basées sur les compétences dites « comportementales ».
La star attitrée de la boite ouvre gentiment le bal de ces compétences particulières. Nous supposerons que la star est un homme. S'il existait un Prix Nobel de la gentillesse, c'est à lui qu'il serait décerné.
D'un naturel bon, ce Saint-bernard est très serviable. Pour voler au secours de son prochain, il se fait tour à tour chauffeur, mécanicien, infirmier, coursier, informaticien, mathématicien, grammairien, rédacteur, nounours, confident, psychologue...
Oui, mesdemoiselles, il ressemble comme deux gouttes d'eau à l'homme idéal. Mais vous et moi savons que les fées, les lutins et les licornes n'existent pas ici-bas. Conséquence implacable : le cœur de la star est pris. Vous connaissez peut-être cet adage populaire affirmant que « les garçons, c'est comme les places de parking : les meilleurs sont déjà pris ».
En cas de concours de popularité, la star et le boute-en-train arriveraient en tête. Et si le boute-en-train est aussi apprécié que la star, c'est en raison de son franc-parler. Il dit absolument tout ce qui lui passe par la tête. Ne s'embarrasse jamais des convenances ou du qu'en-dira-t-on.
Son irruption dans un plateau est toujours accueillie comme la venue du Messie. Fous-rires garantis ! Ce joyeux drille excelle d'ailleurs dans l'art d'arroser ses cibles de « mots doux » qui font mouche.
Ces douceurs finissent tôt ou tard par atterrir dans l'oreille de « qui de droit » et de faire grincer quelques dents. Cela dit, les propriétaires desdites dents évitent de broncher, de peur de déclencher une seconde salve de mots doux.
Aux antipodes de la spontanéité de ce gai luron, il y a les manèges scénarisés du courtisan émérite. Les révérences pompeuses, ronds-de-jambes et autres compliments à la chaine, c'est par ici.
Champion toutes catégories de l'obséquiosité, le courtisan émérite met un point d'honneur à cirer les shoes de tout ce qui bouge. Victime de son propre jeu (au départ hypocrite), il finit par vouer une dévotion sincère à M. Moulchi. Ce dernier le méprisera d'autant plus ouvertement, allant jusqu'à lui infliger des camouflets en public.
Dans un autre style, il y a les stratagèmes (et autres coups fourrés) de la fouine de la boite. Chaque nouvelle recrue a droit à un incontournable maison : le bizutage 100% fouine.
Plusieurs semaines durant, la fouine ne quitte pas d'une semelle la nouvelle recrue. Pas avant d'avoir pompé un maximum d'informations sur elle, de préférence personnelles (tellement plus faciles à retenir).
L'enjeu est capital pour la fouine: meubler ses 4 pauses café du matin et ses 5 pauses thé de l'après-midi. Elle se documente donc sans relâche, mue par l'espoir fou de décrocher la timbale : devenir la fouine officielle de M. Moulchi en personne.
La fouine est souvent collée aux basques du killer de la boite. Les deux compères aiment faire des messes basses ensemble, tapis dans un coin sombre ou enfermés dans le « local photocopies ».
Une attendrissante symbiose les unit. Il faut dire que c'est la base de données de la fouine qui alimente le killer en précieuses informations. C'est là que réside le secret de la longévité du couple infernal killer/fouine.
Le killer est l'âme damnée de M. Moulchi. Ses dents longues rayent le parquet plus vite que son ombre (de tueur). Le crissement métallique de sa mâchoire donne la chair de poule à plusieurs mètres à la ronde. Est-il nécessaire de préciser que le killer peut être une killeuse ?
Le killer exécute froidement les besognes confiées par M. Moulchi. Dotée du charisme d'un tueur en série (Dexter étant l'exception qui confirme la règle), cette créature létale croît à l'ombre tutélaire de son maître. Au fil des missions, elle finit par arracher quelques onces de pouvoir à M. Moulchi.
Enivré par ces miettes, le killer ne voit pas arriver le coup de massue que lui assènera M. Moulchi.... VLAN !.... en plein dans les dents (encore tachées du sang de ses victimes) ... un beau matin.......dès potron-minet .... Re-ABRACADABRA ! ... Nouvelle course poursuite dans les champs ...à la vitesse du son....et tutti quanti ...
Mais en matière d'« irrationnel », l'apothéose, c'est avec la pseudo-folle qu'on l'atteint. Bien entendu, cela peut-être un pseudo-fou. Mais nous resterons sur le féminin, histoire de rendre hommage à l'inclinaison plus prononcée chez la gent féminine pour la « zinzin attitude » (sautes d'humeur et autres lubies).
Vu ses réactions imprévisibles, personne n'ose approcher la pseudo-folle sans une longue préparation logistique et psychologique. L'Einstein de la boite lui-même n'a pas réussi à trouver l'algorithme modélisant le comportement de la pseudo-folle (afin de tenter de l'anticiper et surtout de s'y adapter).
Le mot magique que cette Gorgone dégaine à chaque fois qu'on la sollicite ? PROBLÈMES. Ce mot-clé lui sert d'alibi tout-terrain pour ne pas lever le petit doigt au bureau.
Non, elle ne transmettra pas telle information, en raison de ses PROBLÈMES. Non, elle ne respectera pas le délai prévu, à cause de ses PROBLÈMES. Et... non, elle ne pourra pas assister à la réunion qu'elle a elle-même déclenchée, parce qu'elle a des PROBLÈMES. Les problèmes ont bon dos.
Dans un registre plus glamour, la Barbie de la boite brille de mille feux. Comme toute Barbie qui se respecte, Barbie est dotée d'une santé de fer et de gènes d'enfer. Le résultat est enchanteur : des traits parfaits et une silhouette de « sirène sortant des eaux » (que Botticelli n'aurait pas reniée). Bref, Barbie est la quintessence de la féminité.
Tous les garçons perdent le nord (et toutes les autres orientations) en sa présence. M. Moulchi lui-même est subitement en proie à une rafale de tics et de tocs quand Barbie se trouve dans son champ de vision.
La vie au bureau est un long fleuve tranquille pour cette gracieuse créature. Il lui suffit d'esquisser l'ombre d'un sourire pour obtenir ce qu'elle veut. Quand elle le veut. Car ce que Barbie veut, Dieu le veut.
Si la gent masculine lui voue un culte décomplexé, la gent féminine est moins enthousiaste à son égard. Certaines femmes se consument de jalousie quand d'autres observent une cordiale neutralité. D'autres, enfin, font les yeux doux à Barbie dans l'espoir de lui soutirer 2-3 conseils-beauté, refusant de nier l'évidence : les gènes d'exception, cela ne s'achète pas. Et ce n'est pas L'Oréal qui peut y changer quelque chose.
De temps en temps, l'harmonie de cette jungle est troublée par l'arrivée d'une nouvelle recrue, fraichement catapultée de sa Business School. Le passage de la voluptueuse rationalité de la théorie à l'âpre réalité est parfois déroutant pour ces jeunes diplômés naïfs. La planète « Théorie » des cours de gestion (toute en « rigueur, calme et rationalité ») semble à des années-lumière de la jungle de M. Moulchi ...
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